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6 juillet 2011 3 06 /07 /juillet /2011 07:24

Transmis par un ami lecteur-émis ici pour mémoire.

 

 

 

Monseigneur,


J’ai lu avec une grande émotion l’article paru dans « Eglise de Metz » du mois de juin, dans lequel vous relatez votre récent séjour à Oran. Il m’intéressait d’autant plus que vous évoquez ma ville natale et un lieu qui m’est cher, l’évêché de cette ville, en fait l’ancienne paroisse de Saint-Eugène, où j’ai été baptisée, confirmée et où j’ai fait ma communion solennelle, selon la terminologie en usage avant Vatican II. Vous rappelez également la mémoire d’un grand prélat, Monseigneur Claverie avec lequel j’ai eu l’honneur et le privilège de m’entretenir en
1987, à la faveur d’un retour dans le pays de mes racines.


Je ne commenterai pas votre analyse irénique de la situation actuelle du Christianisme en Algérie. Je n’ai aucune compétence particulière pour le faire. Juste une remarque : peut-on parler de « terre d’Islam » à propos de ce pays quand, vous le rappelez avec raison, l’Afrique du Nord a été la terre d’élection du premier Christianisme occidental et a donné à l’Eglise, un de ses Pères les plus éminents, Saint Augustin ?


En revanche, permettez-moi de m’étonner de certaines de vos expressions pour décrire le
comportement de ceux que l’administration française appelait, en 1962, les « Européens » : « A la fin de la guerre d’Algérie, alors que la majorité des chrétiens et de leurs pasteurs firent le choix de quitter le pays pour s’installer en France ».


Pour ceux qui ont vécu les événements, dont je suis, le mot « choix » relève d’une forme blessante de négationnisme à leur égard : oublié le terrorisme dont ils ont été victimes depuis le 1er novembre 1954, ignorés les derniers mois pendant lesquels, surtout à partir du 19 mars 1962, ils furent victimes d’enlèvements jamais élucidés et d’assassinats quotidiens. Un « Mur des disparus » sur lequel sont gravés plus de trois mille noms de ces malheureux a été inauguré à Perpignan en novembre 2007. La ville d’Oran, qui fut toujours majoritairement européenne, paya un tribut particulièrement lourd, le jour de la célébration de l’Indépendance, le 5 juillet 1962 : au minimum 700 européens furent enlevés et assassinés. Le cinéaste franco-algérien Jean-Pierre Lledo, peu suspect de sympathie à l’égard du système colonial, a pu parler « d’épuration ethnique » à propos de cette tragédie. Faut-il s’étonner que dans les jours qui suivirent la ville se soit vidée de ses habitants, dans une panique générale ? En juin 1940, les Français ont-ils « choisi » d’abandonner les Ardennes, la Lorraine ou l’Alsace pour se réfugier dans l’Ouest ou dans le Sud de la France ? Depuis bientôt 49 ans, personne n’a cherché à retrouver ces victimes Pieds-Noires, raison d’Etat oblige, car les forces algériennes, on le sait aujourd’hui, ont délibérément semé la terreur pour hâter le départ de ces Européens. Monsieur Ben Bella, premier Président algérien, a déclaré plusieurs fois, sur les medias français, qu’il n’y avait dans l’Algérie indépendante aucune place pour les Pieds-Noirs, dans un pays qui se voulait arabo-musulman.


Opposer ces malheureux à ceux qui auraient choisi de rester en Algérie afin de contribuer
« humblement à son développement humain », revient à nier le rôle joué par tous ces médecins, ces instituteurs, venus de Métropole ou nés en Algérie, qui se sont dévoué corps et âmes pendant 132 ans, dans les lieux les plus reculés du pays pour éduquer et soigner les populations autochtones. Je n’oublie pas ces « Soeurs Blanches » qui tenaient, dans cette même paroisse de Saint-Eugène d’Oran, un dispensaire où venaient quotidiennement se faire soigner femmes et enfants, comme on le voit dans le film de Beauvois. Je connais personnellement des Pieds-Noirs qui ont tenté de rester et qui ont pris la nationalité algérienne.


Le Président Boumediene, champion de l’arabisation, les a contraints à partir et les a remplacés par des étrangers des pays de l’Est parce qu’ils ne pouvaient, à aucun titre, se réclamer de la nationalité algérienne. Mais nous, dont les familles étaient présentes pour certaines depuis les années 1830, venues de tout le pourtour de la Méditerranée dont elles fuyaient la misère, imaginions naïvement avoir le droit de nous sentir chez nous. Cette terre, on ne l’a pas donnée à ces « immigrés économiques », comme nous dirions aujourd’hui ; pour 90% d’entre eux, ils ne l’ont jamais possédée mais ils l’ont travaillée, aux côtés des musulmans et ils l’ont aimée éperdument parce qu’elle leur a permis de vivre. Ces populations ont appris, plus ou moins, en vivant côte à côte, la langue des autres, arabe, français, espagnol, maltais.


L’Eglise, qui se montre si compatissante à l’égard des populations algériennes n’a pas fait un grand effort pour comprendre le désarroi de ces Pieds-Noirs pendant les « événements ». Le Cardinal Feltin, en 1962, leur enjoignait de rester en Algérie, ignorant délibérément les dangers auxquels ils étaient exposés. Seul Mgr Rhodain, à la tête du Secours catholique, a montré une vraie compassion. Et je n’oublie pas la haute figure de l’épiscopat d’Algérie qu’était notre évêque, Monseigneur Lacaste, prédécesseur de Mgr Tessier et Mgr Claverie.
Nos blessures ne peuvent se cicatriser, ni notre travail de deuil se conclure si la désinformation se perpétue, si l’on continue à stigmatiser ceux qui ont vécu sur cette terre.
Vous avez eu le privilège, Monseigneur, de pouvoir vous recueillir, à Oran sur la tombe de votre éminent ami. Pour nombre d’entre nous, les sépultures de nos parents n’existent plus. Le cimetière chrétien d’Oran a été « réduit » des deux-tiers, les restes des défunts regroupés dans des sortes de containers en béton dépourvus de toute indication de nom et de tout signe religieux. Monseigneur Georger, sur place, ne peut ignorer cette situation puisqu’il a assisté lui-même à ces transferts. Dans de nombreuses communes, les tombes ont été vandalisées,
dans l’indifférence des autorités algériennes et françaises. Certains défunts, tels que les disparus du 5 juillet 1962, n’ont jamais eu de sépulture et l’Etat français n’organise aucune cérémonie du souvenir, comme cela se fait légitimement pour les victimes du massacre d’Oradour-sur-Glane. Comment pouvons-nous ne pas nous sentir inhumainement traités ?


Puis-je solliciter de votre part, Monseigneur, à l’attention de ces malheureux qui n’ont même pas eu le temps de « choisir », la charité d’une prière afin qu’ils reposent enfin en paix, où qu’ils se trouvent, et que leurs proches survivants s’apaisent et pardonnent ?
Je prie Monseigneur l’Evêque de Metz de bien vouloir agréer l’expression de mon profond respect.


Danielle Pister-Lopez
Agrégée de l’Université

 

Lien vers le site  26 mars 1962.   link

 

(http://www.alger26mars1962.fr/alger/index.php?option=com_content&view=article&id=104:a-propos-de-la-valise-ou-le-cercueil&catid=106:apres-le-19-mars--le-26-mars-le-5-juillet&Itemid=152)

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